what the fuck am I doing here? (r)

Presley adressa un dernier signe de la main à Devi alors que celle-ci s’éloignait pour rejoindre son groupe d’amis. Ils s’étaient retrouvés un peu plus tôt dans l’après-midi et avaient dîné dans un nouvel établissement dont sa meilleure amie n’avait eu de cesse de vanter les mérites au cours des dernières semaines - sans pour autant avoir eu l’occasion d’y manger. Finalement, Presley avait pris son courage à deux mains et avait contacté le restaurant, appuyant sur le fait qu’il avait plusieurs centaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux dans le but d’obtenir une réservation. La manager avait hésité et Presley avait écouté son instinct - sa magie - et avait ajouté qu’il n’était pas un critique culinaire, qu’il paierait le tarif normal et souhaitait simplement faire plaisir à une amie, le dernier argument étant celui qui avait convaincu la jeune femme d’ajouter son nom à sa liste. Ils avaient passé un bon moment et même si Presley n’était pas un ‘foodie’, il avait apprécié les plats qu’ils avaient essayé.

La soirée était bien entamée et Devi lui avait proposé de l’accompagner en boîte de nuit, ce qu’il avait - sans surprise - refusé. Il avait eu sa dose de socialisation pour la journée et il doutait être capable de se protéger convenablement des émotions de ses pairs dans une foule. Raison pour laquelle il fut soulagé de constater que l’arrêt de tram était désert. Par ailleurs, Presley était sur le point de monter à l’intérieur du wagon lorsque son intuition le stoppa, son pied droit restant en suspens à quelques centimètres du sol, sous les regards plein de jugements des occupants du tramway.

Hésitant un court instant tandis que l’alarme annonçant la fermeture des portes se faisait entendre, Presley fit finalement volte-face et observa les environs tandis que le tram repartait. La nuit était tombée sur Seattle et la principale source de lumière était les néons des bars et autres clubs qui reprenaient doucement vie à cette heure. Suivant le sentiment d’anxiété qui habitait sa poitrine tel une voix guidant ses pas, Presley s’aventura dans une rue adjacente. Il ne lui fallut pas longtemps pour découvrir la source de son malaise; un couple… flirtant? dans une allée et il fronça ses sourcils, incertain de la raison derrière son pressentiment… jusqu’à ce qu’il trébucha sur une canette de bière vide et attira l’attention du duo. L’un était humain, l’autre… un démon. “Oh,” souffla-t-il, ses yeux s'écarquillant sous le choc, tandis que la scène semblait se figer l’espace d’un instant.

Après une journée passée à … ne rien faire pour tout avouer, Ciaràn se rendait à l'Aurora, ce bar qu'il avait ouvert il y a quelques années, juste après une rupture difficile et qui marchait du feu de dieu depuis lors. Il n'était pas obligé de s'y rendre ce soir, ses employés pouvant amplement gérer la boîte seul mais il aimait y passer quand même, ne serait-ce que parce que l'ambiance qui s'en dégageait lui plaisait. Entre l'alcool, les drogues et les corps dénudés, il y avait tout ce qu'il fallait pour se changer les idées et ne pas penser à l'état actuel du monde qui, il fallait bien l'avouer, était de pire en pire. L'influence du mal ne cessait de s'accroître de jour en jour et les bénéfiques se retrouvaient totalement désarmés pour y faire face. Une triste réalité que le sorcier ne parvenait que rarement à se sortir de la tête. Il faisait de son mieux pour faire sa part en chassant les démons et en protégeant les innocents lorsqu'il le pouvait mais cela était loin de suffire. Très loin même. Son statut et ses pouvoirs ne lui permettait que de s'en prendre à de petites pointures des Enfers là où il aurait fallu s'attaquer aux plus puissants démons pour espérer provoquer un quelconque changement.

L'homme était au courant du dernier plan des Fondateurs, celui d'octroyer des pouvoirs aux mortels mais selon lui, c'était une grossière erreur que de donner de la magie à des êtres ne sachant pas s'en servir. C'était prendre le risque de voir mourir encore plus d'innocents en plus de celui de voir se renflouer les rangs maléfiques car il ne fallait pas se mentir, la bienveillance n'était pas donnée à tous et Ciaràn mettait sa main à couper qu'au moins la moitié d'entre eux choisiraient le camp qui avait de toutes évidences, presque gagné la guerre.

Il s'efforça de se sortir ses pensées de la tête alors qu'il marchait dans les rues de la ville, plongée dans l'obscurité de la nuit. La clope au bec, emmitouflé dans son écharpe pour faire face au froid il observait les alentours qui étaient déserts. Rien d'étonnant, seul les fous et les plus inconscients sortaient encore le soir par les temps qui couraient. Sortir la nuit revenait à se coller une cible dans le dos pour un démon qui passerait dans le coin. Son regard fut attiré vers une ruelle devant laquelle  il passa, le bruit métallique qui s'en échappa résonnant jusqu'à lui, sur le trottoir d'en face. Il s'arrêta net en tirant une bouffée de sa cigarette puis se décida à aller y jeter un œil en expédiant le mégot au loin. La curiosité couplé avec son côté sorcier bénéfique désireux de sauver la veuve et l'orphelin, sans doutes …

Il aperçut un homme de dos et un peu plus loin, une femme avec ce qui ressemblait à un démon, vu l'aura bleutée que dégageait ses yeux. D'après ses connaissances -qui étaient loin d'être excellentes- il aurait pu s'agir d'un incube, ces charognards démoniaques attirés par le sexe et se nourrissant de l'énergie. Il leva les mains en direction du trio et les figea tous les trois avant de se rapprocher davantage. Une chance qu'il ne les ait pas fais exploser, c'était déjà arrivé tant il ne contrôlait pas cette partie de son don. Son pouvoir fonctionna sur deux d'entre eux seulement, l'homme dos à lui semblait avoir résisté à ce pouvoir ce qui poussa Ciaràn à rester sur ses gardes. « Euh, vous n'êtes pas figé ? » Superbe sens de la déduction. Deux raisons à cela, soit il était un sorcier bénéfique, soit un être maléfique puissant. Les mains toujours en l'air, prêt à se défendre contre le jeune si nécessaire. Même s'il n'avait pas l'air dangereux, il pouvait se tromper. « Qu'est-ce que vous êtes ? » Le questionna t-il en se concentrant sur les deux autres pour qu'ils restent figés.

Excepté que ce n’était pas uniquement une impression: le Monde autour de lui était bel et bien figé. Le duo face à lui était comme pétrifié et l’atmosphère différent. Par ailleurs, il fallut une fraction de seconde supplémentaire au jeune homme pour réaliser qu’ils n’étaient plus seuls dans la ruelle. Presley sursauta à l’écoute de la voix de l’inconnu et leva ses deux mains en signe de paix au moment de lui faire face, une expression à la fois confuse et terrifiée étirant les traits de son visage. Il ouvrit la bouche à plusieurs reprises avant de parvenir à articuler une réponse un tant soit peu cohérente: “Cupidon. J’suis un Cupidon.”

Presley n’était pas un chasseur de démon. Il évitait toute confrontation avec le reste du Monde Magique, et s’aventurait rarement dans des quartiers comme celui-ci, d’autant plus à la nuit tombée. Il vivait une existence tranquille parce qu’il suivait des règles simples qui lui permettaient - ordinairement - de ne pas être confronté à de telles situations. “Je - je ne veux pas de problème, je suis pas avec eux, j’vous le jure,” ajouta-t-il, son ton presque suppliant. L’inconnu avait figé le démon, mais ça ne voulait pas dire qu’il était du côté des gentils pour autant, pas vrai? Il pouvait très bien se tenir au milieu d’un conflit d’intérêt personnel, dans quel cas, il n’était rien de plus qu’un obstacle. Presley pressa ses doigts contre la bague de sa mère qui ornait sa main gauche. Une façon de se rassurer: il avait ses pouvoirs après tout. Et certes, il maîtrisait encore relativement mal l’aspect téléportation de ses dons, néanmoins il avait espoir que s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, sa magie collaborerait.

C'était désormais évident, le jeune homme ne représentait pas une menace, bien au contraire et tout en lui poussait Ciaràn à croire en ce qu'il lui disait. A moins que ce ne soit quelqu'un au talent d'acteur digne d'un oscar. Il baissa le regard sur sa bague qu'il reconnut immédiatement pour avoir déjà croisé un cupidon dans sa vie. « Un cupidon vous dîtes ? Original, c'est rare d'en croiser. » Ces êtres n'avaient rien de mauvais, ils n'aspiraient qu'à répandre l'amour et le bonheur autour d'eux, ce que l'humanité avait grandement besoin en ce moment. Cherchait-il à maquer un démon et une humaine ? Ou était-il simplement là par hasard ?

« Ne vous en faites pas, je ne suis pas maléfique, je suis un bon sorcier. » C'est ce qu'un être du mal dirait bien sûr mais dans son cas, c'était la vérité et seule une personne dans cette rue avait à craindre pour sa vie ce soir : le démon, toujours figé un peu plus loin. Démon qui ne tarderait pas à se libérer de son sort. Ciaràn contrôlait bien cet aspect de son pouvoir mais il avait tout de même ses limites, les choses qu'il figeait, d'autant plus lorsqu'elles étaient maléfiques et vivantes ne le restaient jamais bien longtemps et ce, malgré toute la concentration et l'énergie qu'il pouvait mettre dans l'histoire.

« Entant que Cupidon j'suis persuadé que vous pouvez ressentir que j'vous veux aucun mal. » Ajouta t-il pour le rassurer tant il semblait être une petite chose fragile et apeurée. Le temps reprit son cours et le démon envoya une boule d'énergie qui percuta l'omoplate du sorcier désormais à terre. Et oui, c'est bien beau de parler mais ça avait laissé l'occasion à l'incube de le prendre par surprise. « Occupez-vous de la femme, je me charge de lui. » Lui ordonna t-il presque en se relevant avec difficulté pour faire face au démon qui se rapprochait maintenant de lui pour finir le travail.

Un geste de la main, rien ne se passa. Puis un second, tout aussi inutile. Ciaràn agitait ses mains dans tous les sens alors que son pouvoir de contrôle moléculaire ne lui obéissait plus. C'était bien le moment. Avec l'accélération moléculaire qu'il avait découvert il y a peu, tout le reste avait été totalement déréglé.

Le démon lui empoigna la gorge une fois à son niveau et le sorcier posa sa main sur le sienne, usant d'un pouvoir qu'il savait être une valeur sûr. Il le rendit ivre, de plus en plus jusqu'à ce que le démon finisse par tomber dans le coma, le laissant vulnérable au sol alors que le jeune reprenait son souffle. « Ça ... » Il se racla la gorge et recommença. « Ça va de votre côté ? » Lança t-il en direction du jeune homme. Il imaginait que oui.

“Uh, si vous le dites,” répondit Presley, toujours en état de choc et incertain concernant les intentions de son interlocuteur. Non pas que ses paroles soient fausses; les cupidons étaient rares et Presley lui-même n’avait jamais rencontré l’un de ses pairs - en dehors de sa mère, évidemment. Par ailleurs, il fallut encore de longues secondes au jeune homme, ainsi qu’un rappel de ses propres dons, offert par l’inconnu pour s'extirper de l’anxiété qui altérait sa capacité de réflection:  “Oh, c’est pas faux,” articula-t-il, visiblement hébété. Presley s’obligea à prendre une inspiration pour tenter de se reprendre et de faire le tri parmi toutes les émotions qui assaillaient ses sens. Le sorcier ne lui voulait pas de mal, mais ça ne signifiait pas qu’il était hors de danger. Après tout, un démon se tenait à seulement quelques mètres d’eux, et en parlant de ce dernier…

Presley sursauta à nouveau, ses yeux s’écarquillant comme des soucoupes lorsque la boule d’énergie le dépassa pour atteindre le sorcier, le projetant au sol. “Oh mon Dieu, oh mon Dieu,” couina presque Presley, son regard faisant la navette entre les deux adversaires. Il n’était vraiment pas fait pour la violence, et n’avait jamais pris le temps d’apprendre à se défendre. Il pouvait voir maintenant pourquoi il s’agissait là d’une erreur de sa part: clairement ce n’était pas le spray au poivre ornant son trousseau de clés qui allait l’aider.

Heureusement pour lui, pour eux, le sorcier ne se laissa pas démonter par la répartie du démon, et bien que le premier instinct de Presley fut de ne pas bouger d’un pouce jusqu’à la fin de l’affrontement, dans l’espoir d’être oublié, il réalisa que ce n’était pas une option à l’écoute de l’ordre du sorcier. Presley papillonna des paupières pendant une fraction de seconde avant de reporter son attention sur la jeune femme désormais roulé en boule un peu plus loin dans la ruelle. Il n’avait pas besoin d’utiliser ses pouvoirs pour savoir qu’elle était terrifiée. “Uh, okay,” répondit-il, non sans hésitation à l’intention du sorcier.

Presley serra ses poings, une grimace venant étirer ses traits, alors qu’il se concentrait sur son intention: se téléporter derrière le démon. Il réapparut par un quelconque miracle une fraction de seconde plus tard au côté de la jeune femme, qui le fixait avec… horreur? “Je suis là pour vous aider,” déclara-t-il maladroitement, s'accroupissant face à elle. “Je ne vais pas vous faire de mal, je vous le jure.” Néanmoins, elle ne l’écoutait pas, sa panique grandissant avec le fracas du combat se déroulant quelques mètres plus loin et Presley se mordit la lèvre inférieur avant de se résoudre à tenter une nouvelle approche. Il prit une grande inspiration et leva sa main arborant sa bague en direction de la jeune femme: “Tout va bien se passer, vous êtes en sécurité maintenant,” souffla-t-il, son hésitation précédente remplacé par un sentiment de sérénité. Cela prit plusieurs longues secondes, mais sa magie fit son effet et la terreur de la jeune femme s’amenuisait considérablement sous ses yeux.

“Ca va, et de votre côté?” s’exclama-t-il, reportant son attention sur le sorcier lorsque ce dernier s’adressa à nouveau à lui. Il fit une pause alors que son regard se posait sur la silhouette du démon et ses yeux s’écarquillèrent à nouveau, son anxiété précédente reprenant le dessus, et il se releva d’un bond - heureusement, il ne transmettait pas ses émotions à ses protégés: “Est-ce qu’on devrait appeler la police? Je crois qu’on devrait appeler la police. Ou genre, une ambulance. Elle devrait probablement voir un docteur. Vous avez besoin d’en voir un aussi? Est-ce que vous l’avez tué? Est-ce qu’on devrait l’emmener voir un docteur?”

Il passa sa main sur son omoplate et esquissa une grimace face à la douleur. La blessure avait l'air d'être superficielle, une chance pour lui mais beaucoup moins pour sa veste complètement foutue. « J'en ai connu d'autres, j'devrai m'en remettre. » Et si jamais il avait vraiment besoin, il n'aurait qu'à faire appel à son être de lumière pour le guérir. Il était là pour ça après tout même si Ciaràn n'aimait pas l'appeler au moindre petit bobo qu'il pouvait avoir. Non, en général, il ne faisait appel à lui que dans les cas les plus graves.

« J'vois que vous avez pas l'habitude de chasser les démons. » Une déduction très facile compte tenu de ses questions et de la tête qu'il faisait. « Vous êtes blessée mademoiselle ? » Demanda t-il avec un sourire chaleureux en s'approchant de la jeune femme qui lui répondit par la négative. Plus de peur que de mal pour elle qui n'allait probablement pas ressortir de chez elle avant un moment. « Bien dans ce cas j'vous conseille de ne pas trop traîner dans le coin et de rentrer chez vous. » Un ton un peu trop sec sans doutes mais Ciaràn n'était pas là pour jouer les baby-sitter, il avait encore à faire avec le démon inconscient. Il reporta son attention sur le cupidon. « Les flics serviraient à rien dans cette histoire. » Le sorcier avait eu une mauvaise expérience avec les forces de l'ordre par le passé, il les avait appelé une fois et c'est lui qui s'était fais embarquer pour homicide au final alors mieux valait ne pas les mêler à ça si possible. « Vous voudriez vraiment qu'on l'emmène voir un docteur ? » Dit-il en pointant l'homme au sol, retenant un léger rire. Ce qu'il ne fallait pas entendre. « Il n'est pas mort. Simple coma éthylique, il se réveillera avec une grosse gueule de bois. » Enfin, il ne se réveillerait pas car Ciaràn comptait bien le renvoyer dans le néant définitivement. Hors de question de laisser une vermine démoniaque reprendre ses petites activités s'il pouvait l'empêcher. « Première leçon en matière de chasse aux démons, si le corps est toujours là, c'est qu'il est vivant. » C'est que le jeune avait beaucoup de choses à apprendre.

L'homme ouvrit sa main, paume face au ciel et se concentra quelques instants sur le poignard présent dans la rue voisine, à l'Aurora pour le fait apparaître dans sa main dans un courant d'air. Il ne pouvait pas le faire avec n'importe quel objet, ni sur n'importe quelle distance mais par chance, son club était suffisamment proche d'eux pour que ça marche. Sans même se soucier de ce que le jeune pourrait penser, il se baissa et l’enfonça dans la poitrine du démon qui prit feu avant d'être réduit en cendres ainsi que l'arme. « Maintenant, il est mort. »

Il alluma une cigarette avant de tendre sa main en direction du cupidon. « Je m'appelle Ciaràn, au fait. » Sacré manière de se rencontrer mais bon, c'est presque toujours de cette façon qu'il rencontrait la plupart des gens. En leur sauvant les fesses. « Vous vo... » Il reprit. « Enfin, tu veux que je te raccompagne chez toi ? » Lui demanda t-il. Conscient qu'il aurait sûrement besoin d'une escorte comparé à l'humain qu'il avait laissé rentrer toute seule. Oui ils pouvaient sûrement se tutoyer. Après tout, ils venaient de combattre un démon ensemble, même si c'est Ciaràn qui avait fais tout le boulot. « Ou je te paye un verre ? Vu ta tête j'pense que ça pourrait te faire du bien. J'ai un club dans la rue voisine. » Il n'était même pas sûr qu'il avait l'âge de boire.

Presley ouvrit et referma la bouche à plusieurs reprises, cherchant tant bien que mal à assimiler ce qu’il venait de se passer. Est-ce qu’il avait mentionné que la violence et lui ne faisaient pas bon ménage? Genre, pas du tout. En comparaison, le sorcier semblait complètement dans son élément, et Presley fut légèrement choqué par ses paroles suivantes, ainsi que la façon dont il congédia la jeune femme. Il persistait à croire que celle-ci devrait voir un médecin, faire une déposition, probablement même les deux, et la laisser repartir seule lui semblait à la fois cruel et irresponsable… mais en même temps, il n’avait pas particulièrement envie de s’investir davantage dans toute cette histoire.

“Oh, o-kay,” lâcha-t-il, toujours aussi hébété lorsque le sorcier expliqua qu’un démon mort ‘disparaisait’... juste avant de poignarder celui qui se trouvait à leurs pieds sans le moindre avertissement. Presley fit un nouveau bond en arrière, la panique le submergeant à nouveau: “Put- Mais qu’est-ce que vous avez fait? Vous l’avez tué!” s’exclama-t-il, ses poings venant se refermer sur ses cheveux. Il venait d’assister à un meurtre. Non, pire que ça, il venait de participer à un meurtre! Il allait se retrouver en prison! Il n’était pas fait pour la prison!

Presley continua à hyperventiler plus ou moins discrètement, la très grande majorité de sa crise existentielle se déroulant dans les méandres de son esprit, tandis que le sorcier - Ciaràn - continuait de se comporter comme s’il ne venait pas de poignarder une autre personne. “Presley,” répondit le susnommé, alors qu’il acceptait la poignée de mains, non sans hésitation. Une grimace faisait mine de sourire poli sur ses traits, tandis qu’il priait pour ne pas être la prochaine victime de son interlocuteur… Tout du moins, jusqu’à ce que leurs peaux se touchèrent et qu’il ressentit… quelque chose. Il n’était pas certain de savoir de quoi il s’agissait, cependant cette dernière sensation eut le mérite d’abattre une bonne partie de sa panique. Il fixait la main du sorcier sans la voir lorsque ce dernier lui proposa de le ramener chez lui et Presley secoua distraitement la tête.

“Uh, je sais,” répondit-il à la mention du club. “Enfin, non, je sais pas, j’y suis jamais allé, mais j’ai une amie qui connaît, elle doit y être maintenant, mais c’est pas vraiment ma scène.” Réalisant que ses mots pouvaient être pris telle une insulte, Presley accrocha finalement le regard de l’autre homme, ses yeux écarquillés, il s’empressa d’ajouter: “Sans vouloir t’offenser, vous offenser, juste je bois pas vraiment et j’ai genre deux pieds gauches alors…” Il devait vraiment arrêter de parler, genre, hier. “Vous servez des boissons sans alcool?”

Ciaràn ne comprenait pas vraiment la réaction du cupidon vis-à-vis du démon. Oui il l'avait tué et pour lui, c'était naturel de faire ça. Il était né pour ça et toute son éducation avait tourné autour de cette chasse. Dans quel monde vivait-il pour ne pas accepter le meurtre d'une créature démoniaque ? Ce tas de cendres, lui, n'aurait pas hésité une seule seconde à les tuer tous les deux ainsi que l'humaine qu'il avait pris dans ses filets. C'était l'une des règles primordiales du monde magique et un combat qui durait depuis toujours : les créatures bénéfiques tuaient les créatures maléfiques.

Il décida de ne pas en tenir compte pour le moment et se présenta. Lorsque sa main entra en contact avec la sienne, Ciaràn sentit une énergie nouvelle parcourir son corps, une énergie qu'il ne comprenait pas et fronça un sourcil tandis que le jeune lui donnait son prénom. Cette étrange sensation se dissipa aussitôt le contact entre eux rompu, laissant l'homme perplexe quelques instants.

Son froncement de sourcil s'intensifia l'espace d'une seconde lorsqu'il lui avoua être au courant qu'il gérait un club avant d'entendre la suite de sa phrase, mettant fin à sa grimace. Il est vrai que ce genre de boîte de nuit n'était pas la tasse de thé de tout le monde et si quelqu'un lui avait dis il y a quelques années qu'il deviendrait un jour le propriétaire d'un tel lieu de débauche, il ne l'aurait sûrement pas cru et lui aurait ri au nez. Aujourd'hui, tout était différent et Ciaràn se sentait totalement à l'aise à l'Aurora qui était devenu sa seconde maison.  

« Bien sûr que l'on vend des cocktails sans alcool. Il y en a pour tous les goûts là-bas. » Lui répondit-il même s'il est vrai que la majorité des clients qui fréquentaient l'établissement étaient plutôt du genre à aimer les alcool forts. « Et aucune offense t'en fais pas, je vais pas te tuer parce que t'es pas du genre à fréquenter mon club. » Lui assura t-il en riant légèrement avant de commencer à marcher en tirant sur sa clope. Ils arrivèrent bien vite devant le bâtiment qui était bondé de monde, tous faisant la queue devant le videur comme d'habitude. L'Aurora fonctionnait à plein régime, peu importe le jour de la semaine et ça, Ciaràn en était plutôt fier.

Passant devant tout le monde, privilège du patron, il se retourna vers Presley. « Si jamais tu te sens mal, pas à l'aise ou quoique ce soit, n'hésites pas à me le dire on ira se poser au calme dans mon bureau. » Le but de le faire venir ici était surtout de le détendre et de lui faire oublier sa petite mésaventure précédente, pas de le traumatiser encore plus. Sur ces mots, il jeta sa cigarette, salua l'homme à l'entrée avant de pénétrer dans l'établissement pour foncer direction le bar où les strip-teaseurs et les strip-teaseuses faisaient leur show à moitié nu. Le sorcier ne manqua pas de reluquer les hommes et commanda un verre de whisky et laissa le soin au cupidon de prendre ce qui lui faisait envie. Une boisson qu'il n'aurait bien sûr pas à payer. « Ca va tu tiens le choc ? Tu aperçois ton amie ? » lui demanda t-il bien qu'avec le brouillard présent ici, c'était difficile de pouvoir la distinguer clairement.

Le faux sourire de Presley s’intensifia à l’écoute des paroles suivantes de son interlocuteur. Il n’allait pas le tuer parce qu’il n’était pas un client régulier de son club, mais cela ne signifiait pas qu’il n’envisageait pas potentiellement de faire subir un tel sort au cupidon pour une quelconque autre raison. Dans quelle genre de situation s’était-il encore fourré? Sérieusement, il y avait des jours où Presley enviait sincèrement les humains lambdas. Certes, ils n’avaient pas de pouvoirs magiques, néanmoins ils n’étaient également pas attirés dans la direction du danger par une force surnaturelle. “C’est, euh, c’est bon à savoir,” marmonna-t-il, sans grande conviction.

Il suivit silencieusement Ciaràn jusqu’à l’Aurora, entrant à sa suite sous les regards curieux du videur et des clients faisant la queue devant l’établissement.

A peine avait-il franchi le seuil que survint l’attaque. Les émotions des occupants du club l’assaillirent avec violence, le faisant chanceler sur ses pieds, et lui faisant perdre temporairement l’utilisation de ses cinq sens. Presley suivit le sorcier sur plusieurs mètres à l’aveugle, son équilibre rendu précaire par l’épais brouillard qui régnait dans son esprit. Des points noirs et blancs flottaient dans son champ de vision, et il aurait été incapable de décrire la musique ou quoique ce soit d’autre. Tout ce dont il avait conscience, c’était le poids des émotions de ses pairs lui faisant le même effet que des caresses importunes, et surtout invasives - à moins que celles-ci soient réelles? Ils étaient dans un club après tout.

Presley retrouva un semblant de contrôle seulement quelques secondes plus tard, cependant, elles avaient été parmi les plus longues secondes de sa vie. Sa vision s’adapta progressivement et il recommença à distinguer son entourage. Il s’accrocha au bar telle une bouée de sauvetage.

Presley secoua la tête à la question de son compagnon. Il n’avait pas la moindre idée d’où Devi pouvait se trouver dans cette masse d’émotions qui ne cessait de venir lui lécher la peau. La chose lui rappelait une promenade au bord de mer, et l’action de fuir les vagues qui venaient s’écraser le sable.

“Est-ce que je peux avoir un jus de fruit?” demanda-t-il au barmaid le plus proche, arrachant un haussement de sourcil peu impressionné à ce dernier et le faisant rougir d’embarras. “S’il vous plait?”

Un danseur choisit cet instant précis pour venir se coller contre le corps du jeune homme qui fit un bond, donnant l’impression d’être au bord de la crise cardiaque. “Euh, excusez-moi, est-ce que vous pourriez..?” Partir, loin, très loin.